Start-up, licornes… un pari risqué pour les chercheurs d’emploi en 2023 ?
chloe.larmignat
L’année 2022 s’est achevée sur un paysage contrasté dans le secteur des start-up. Aux États-Unis, le secteur de la Tech a subi de nombreux licenciements à partir du mois de mai, alors qu’en France, les levées de fonds se sont multipliées avec une nouvelle année record. L’écosystème des start-up françaises bénéficie d’un plus grand optimisme et d’un fort soutien du gouvernement français qui rassure le marché. Alors, travailler en start-up en 2023 sera-t-il un pari risqué pour les chercheurs d’emploi ?
2022, année record pour les levées de fond françaises
2022 restera une année en demi-teinte pour les start-up françaises. Elles ont battu le record de levées de fonds avec 13,5 milliards d’euros en 735 opérations. Si le montant levé augmente de 17% par rapport à 2021, celui du nombre de tours de table (réunion au cours de laquelle les fondateurs de la société et les investisseurs fixent les termes de leur accord : prix des actions, valorisation, modification des statuts, etc.) baisse de 6%.
Pour remettre en perspective ce chiffre, il faut rappeler que 2021 était déjà une année exceptionnelle. La French Tech (le label créé par le gouvernement pour parler de l’écosystème des start-up françaises) augmentait les montants levés de +115%, et les opérations de +26% par rapport à 2020. Que les start-up françaises parviennent à dépasser encore ces chiffres records dans un contexte de crise aux États-Unis est d’autant plus impressionnant pour l’écosystème tricolore.
L’année 2022 a été plutôt stable et régulière dans la répartition des levées de fonds. On ne remarque pas de fort ralentissement ou un impact particulier de la situation aux États-Unis qui commence à se dégrader à partir du mois de mai.
Le creux du mois d’août est le même qu’en 2018 et 2019 et s’explique par les congés d’été.
C’est le premier semestre qui a pesé lourd avec 8,4 milliards d’euros et des levées de fonds importantes :
- Janvier : 486 millions d’euros pour Qonto et 450 millions d’euros avec Back Market en janvier
- Mars : Doctolib lève 500 millions d’euros
- Mai : Alan double sa valorisation après un tour de table de 183 millions d’euros
Le podium 2022 est occupé par trois secteurs :
- Le logiciel SaaS (+66% de croissance) : Payfit, Ecovadis, Hugging Face, Front, Spendesk
- La FinTech/AssurTech : Qonto, Spendesk, Payfit, Younited
- La Santé/MedTech : Doctolib, Padoa, Owkin
Juste derrière, on retrouve trois secteurs portés par l’innovation et les enjeux sociétaux actuels :
- La FoodTech : Not So Dark, Innovafeed, Invers, Gourmet, Umiami, La Vie
- Le Développement durable, l’Énergie, l’Environnement : EcoVadis, Deepki, Sweep, Greenly, Zeplug, Bump, Electra
- L’Intelligence Artificielle : Diabeloop, Photoroom, yzr
L’année 2022 a donc été bonne sur le marché français. Sauvegardé par une politique plus conservatrice en termes de protection de l’emploi, le climat délétère américain n’est pas venu perturber l’optimisme des investisseurs dans l’Hexagone. Il faut dire que le développement des start-up est une des priorités du gouvernement depuis 2012.
Licornes françaises : une ambition portée par le gouvernement
Déjà 28 licornes en France
Depuis la création de la French Tech en 2012 par François Hollande, le président a changé, mais le soutien de l’État aux start-up n’a fait que se renforcer avec Emmanuel Macron.
En janvier 2022, la France avait 3 ans d’avance sur son plan : 25 licornes avant 2025. Mais que sont les licornes ? Ce sont des start-up, non cotées en Bourse, mais valorisées à plus d’un milliard de dollars.
Dès le mois de juin 2022, au salon Viva Technology, le Président de la République fixait déjà le prochain objectif : 100 licornes avant 2030, dont 25 greentech.).
Si l’objectif peut sembler ambitieux, il n’est pas impossible. La “transition économique de l’économie et la professionnalisation du secteur de la Tech sont des signaux positifs”, selon Romain Dehaussy, associé chez Cambon Partners (source : Maddyness). “Aider les jeunes pousses” est essentiel pour les protéger des aléas économiques et leur permettre de devenir des licornes d’ici à 2030.
Les deux enjeux majeurs de ces futures licornes sont la profitabilité et leur rôle sociétal et environnemental. À l’image d’EcoVadis, première licorne verte, la question écologique va devenir un levier important d’innovation et de création de richesse. Mais la profitabilité des start-up devient un enjeu crucial de l’avenir des licornes.
En effet, on ne compte plus les licornes qui génèrent un très grand chiffre d’affaires sans parvenir à dégager de bénéfices :
- Uber : 30 Mds$ de CA et 23 Mds$ de déficit
- Snapchat : 4 Mds$ de CA et déficit de 1,2 Mds$
- Airbnb : 6 Mds$ de CA et déficit de 6 Mds$
- Lyft : 3;2 Mds$ de CA et 8 Mds$ de déficit
En 2022, le marché américain a durement puni les grands de la tech : Amazon (-37%), Meta (-56%), Uber (-20%), Snapchat (-71%), Lyft (-60%), Airbnb (-36%).
La priorité des créateurs de start-up fut longtemps l’hypercroissance, mais il semble aujourd’hui que la question de la rentabilité devienne primordiale. Les investisseurs ont besoin de retrouver des gages et du sens.
Le gouvernement veut développer les deeptechs
Le 9 janvier, le gouvernement ajoute 500 millions d’euros à son plan de soutien pour associer la recherche et la création de start-up.
Le plan "France 2030" vise à renforcer l'impact de la recherche scientifique dans l'économie nationale en créant 100 licornes et 500 start-up issues de la recherche (deeptech) par an d'ici 2030. Il est doté de 54 milliards d'euros pour développer la compétitivité industrielle et les technologies d'avenir.
Même si 250 start-up ont déjà été créées en 2021 dans le domaine de la recherche, le gouvernement a annoncé le 9 janvier 2023 renforcer son plan autour de trois piliers :
- La mise en place de pôles universitaires d'innovation,
- L'accélération du plan deeptech
- Le renforcement de la valorisation des travaux issus de la recherche.
L'investissement total est de 500 millions d'euros, financé par Bpifrance et l'Agence nationale de la recherche. Le gouvernement cherche à rattraper son retard sur les États-Unis où une start-up est créée tous les 51 millions de dollars de dépenses académiques, contre 94 millions de dollars en France.
Un signe fort pour les chercheurs d’emploi désireux de rejoindre une start-up. Le secteur de la recherche sera soutenu par l’État pour les 7 années à venir, de quoi rassurer ceux qui voudraient se spécialiser dans ce domaine.
Il est à noter que le secteur de la deeptech est fortement soutenu par les institutions en Europe. En effet, les deux plus grands investisseurs européens sont publics : l’EIC (Conseil Européen de l’Innovation) et Bpifrance. Un signal de plus pour ceux qui douteraient encore du potentiel de la deeptech.
2022, une année noire pour les start-up tech dans le monde
Il semble bien que 2022 ait été vécue différemment selon que l’on était dans une start-up tech ou pas. C’est en effet le jour et la nuit entre la France et le reste du monde.
L’année s’est terminée sur +130000 licenciements dans le secteur de la Tech, une année record depuis 2009. Signe de la fin d’une ère ? Pour la première fois, des géants de la tech sont touchés : Meta, Amazon, Uber, Stripe…
Une tendance qui se confirme en janvier 2023 puisqu’il s’agit du pire mois depuis le début de la crise.
Tout commence en mai 2022 quand l’un des principaux incubateurs américains, Y Combinator, prévient ses investisseurs que les levées de fonds vont se réduire (un incubateur est une structure qui soutient les entrepreneurs dans la création et le lancement de leur entreprise).
En août 2022, il réduit de 40% le nombre de start-updans son portefeuille. L’incubateur américain met en cause le ralentissement de l’économie et prouve que les start-up en early-stage (celles qui ont validé leur idée en créant un prototype et en trouvant ses premiers clients)ne sont pas épargnées.
L’Europe est aussi touchée puisque plusieurs grandes entreprises de la tech ont annoncé leur plan : Spotify, Klarna, Hopin, Infarm, Juny, and Cazoo.
Au forum économique de Davos (16-20 janvier 2023), Satya Nadella (PDG de Microsoft) a attribué ces licenciements massifs à trois critères :
- L’inflation qui affecte l’économie
- L’augmentation des achats en ligne depuis les confinements provoqués par la pandémie n’a pas été pérenne
- Les clients cherchent maintenant à optimiser leurs dépenses
D’autres patrons de grandes entreprises tech ont confirmé cette analyse. Mark Zuckerberg (CEO de Meta) et Marc Benioff (CEO de Salesforce) ont admis avoir mal interprété la hausse soudaine de la demande en 2020 et avoir mal apprécié la baisse qui interviendrait une fois les restrictions liées à la Covid-19 levées.
Les start-up et les grosses entreprises tech ont surévalué la croissance provoquée par la pandémie. Elle n’a pas été durable et elles ont recruté trop de personnel.
L’ajustement est à la mesure de la pandémie de la Covid-19. Les licenciements représentent une part importante de la masse salariale de grands groupes :
- Amazon : 18000 licenciements, 1,2% de sa masse salariale
- Meta : 11000, 13%
- Twitter : 7500, 50%
- Snapchat : 1200, 20%
- Microsoft : 10000, 4,5%
La grande majorité de ces plans concernent des entreprises américaines. L’économie libérale des États-Unis privilégie la flexibilité et l’adaptation rapide de ses entreprises. Les salariés perdent leur emploi, mais ont de plus grandes facilités à en retrouver un. En France, les mesures de protection de l’emploi sont plus fortes et les entreprises ont tendance à moins licencier de quoi conserver son optimisme pour 2023.
Conclusion
Alors que la crise économique se profile à l’horizon outre atlantique, les start-up apparaissent encore comme un eldorado pour les chercheurs d’emploi en 2023. Avec un fort soutien de l’État en France et de l’Europe, les start-up restent de formidables opportunités professionnelles. Rappelons que certaines licornes sont nées en période de crise économique : Airbnb (2008), Slack (2009), WhatsApp (2009), Uber (2009), Instagram (2010), Pinterest (2010).